Aller au-delà du big-bang

Partie 2 : Perspectives alternatives

Notre époque est unique et fascinante : nous avons désormais les moyens d’analyser la plupart des grands questionnements sur notre place dans l’univers. Mais allons-nous trouver les réponses que nous cherchons ?

Malgré ses milliers de points scintillants, le ciel nocturne est un endroit sombre et inhospitalier. Se jouant de nos faiblesses humaines – autant celles du corps que de l’esprit – l’univers céleste nous captive pourtant par son appel silencieux qui aiguillonne notre compréhension de l’existence. Que nous le regardions directement en profitant d’un lieu dégagé et d’une nuit claire, ou que nous observions des images télescopiques qu’une rétine humaine ne pourrait jamais capter, le ciel étoilé est fascinant. Alors que nous vivons à une ère informatique faite de mondes virtuels jouissant apparemment d’une infinité de distractions, nous restons sous l’emprise de l’immensité et de la magnificence célestes. L’attrait du ciel est exceptionnel et intemporel.

Dans la première partie, nous avons vu que l’histoire humaine est une perpétuelle recherche des frontières naturelles de notre monde et de leur signification. Notre limite la plus éloignée a toujours été ce qu’on appelle le dôme du ciel, la sphère céleste, le milieu, le médium dans lequel nous vivons.

Dans les années 1960, lorsque Marshall McLuhan inventa l’expression « le médium est le message », il ne parlait pas du cosmos. Néanmoins, son discours sur l’essor de l’électronique à travers la télévision et les ordinateurs s’applique bien au-delà de son contexte sociologique. Voyez comme nous continuons à chercher un message dans le médium de l’univers. Nous sommes incrustés ici, implantés, enracinés sur une petite planète donnant sur une immense étendue, à l’échelle de notre étonnement : à quoi sert tout ça ? Comme l’essayiste écossais Thomas Carlyle l’a, dit-on, fait remarquer, si effectivement les cieux étaient inhabités, que d’espace gaspillé ! Bien sûr, aussi fascinants que puissent être les extraterrestres dans les films, nous ne nous intéressons pas seulement à la possibilité de voisins sur d’autres planètes ; nous cherchons aussi à percer l’histoire de l’univers car, de là, nous pensons trouver des enseignements sur notre état de terrien. Selon McLuhan, il nous est difficile de comprendre les changements sociétaux puisque nos yeux et notre esprit s’attachent au passé : nous progressons vers l’avant en regardant dans un rétroviseur. De même, en astronomie, notre perspective sur le présent est dérivée de notre vision du passé.

LE PRÉSENT À PARTIR DU PASSÉ

Comme la lumière que nous voyons a voyagé sur une énorme distance, lorsque nous observons l’espace nous remontons dans le temps. Nous voyons ce qui a été. Les photons de la lumière solaire ne sautent pas instantanément du soleil sur nous. Leur énergie, qui affecte la météorologie terrestre et nous fait bronzer, est âgée de huit minutes au moment où elle nous atteint. La lumière émise par l’étoile de la Voie lactée la plus proche de nous, Proxima du Centaure, doit voyager dans l’espace pendant quatre ans avant de pouvoir être détectée sur terre. Notre plus proche voisine galactique, Andromède, est à presque trois millions d’années-lumière de nous. Il a fallu tout ce temps pour que sa lumière traverse le vide. La « lumière » apparemment la plus éloignée est le rayonnement diffus cosmologique qui semble venir de toutes les directions dans l’espace. On pense qu’il s’agit des dernières lueurs affaiblies de la naissance de l’univers il y a 15 milliards d’années.

Nous sommes jeunes, mais l’univers est vieux, et son immensité entrave sérieusement nos connaissances sur ce qui est réellement. Les points qui scintillent dans le ciel par une nuit claire semblent être à portée de main, mais ils ne le sont assurément pas. C’est comme si nous étions au creux d’un puits profond et que nous levions les yeux vers le ciel, sans bien percevoir la hauteur des parois qui nous entourent. En tant qu’êtres humains avec des aspirations tant physiques que métaphysiques, nous espérons d’une façon ou d’une autre trouver une signification à ce gouffre « ascendant insondable » de choses du passé. Plus précisément, en regardant dans le rétroviseur, nous espérons trouver quelque chose qui nous guidera vers un présent mieux avisé.

La vision à rebours de l’univers la plus couramment acceptée s’appelle le big-bang. Si cette théorie a rallié un large consentement, ce n’est pas la conclusion que préconisent tous les scientifiques. Cependant, bien que plusieurs théories concurrentes aient été proposées, nous en entendons rarement parler. « Pour la plupart des gens, la cosmologie se résume au big-bang », a déclaré le physicien Geoffrey Burbidge à Vision. « À mon avis, ce n’est pas exact, mais c’est une idée que les gens admettent et qu’ils intègrent à présent dans leurs réflexions et leurs rêves. »

Les informations fournies par la lumière que nous récupérons peuvent être interprétées très diversement. Il est possible d’observer avec précision le fond diffus cosmologique et le décalage vers le rouge (décalage des lignes du spectre vers l’extrémité rouge du rayonnement provenant de corps célestes éloignés). Cependant, ce que l’un et l’autre signifient et nous disent sur l’histoire de l’univers n’est pas aussi clair. Le consensus n’est pas toujours atteint et une théorie s’établit difficilement à l’unanimité. Il y a concurrence entre opinions majoritaires et minoritaires (voir ‘Cosmologies Compared’).

VOIR ROUGE

Edwin Hubble, qui découvrit la relation entre décalage vers le rouge, vitesse et distance, a présenté cette corrélation avec prudence. Dans les années 1930, il écrivit ceci : « Du fait que les ressources des télescopes ne sont pas encore épuisées, il convient de suspendre tout jugement jusqu’à ce que des observations permettent de savoir si les décalages vers le rouge traduisent réellement, ou pas, un déplacement. » De nos jours, la plupart des astronomes sont convaincus que le décalage vers le rouge présente à la fois une composante de mouvement et une composante cosmologique. Nous connaissons l’effet de déplacement (ou décalage de Doppler), qui s’applique aux fréquences sonores, puisque nous remarquons le changement de tonalité lors du passage d’un véhicule équipé d’une sirène. Le décalage vers le rouge est comparable à cet effet lorsqu’une source lumineuse s’éloigne de l’observateur. En gardant l’analogie avec la sirène, le décalage cosmologique correspond, lui, à un changement de tonalité provoqué, non par la source sonore en mouvement, mais par la rue qui s’étire. Dans le cas du décalage vers le rouge, les ondes lumineuses sont aplaties et étirées du fait de l’expansion de l’univers.

C’est ainsi qu’au fur et à mesure que la lumière traverse l’univers, le spectre est modifié parce que la source lumineuse se déplace et que l’espace entre la source et la terre se dilate. De nombreux astronomes restent pourtant dubitatifs quant à cette relation, avançant d’autres causes au décalage vers le rouge. Ils évoquent les quasars (objets quasi stellaires ou ayant l’apparence d’une étoile) dont les observations révèlent des décalages vers le rouge parmi les plus prononcés. D’après la théorie du big-bang, cela implique qu’ils font partie des objets les plus éloignés – donc les plus anciens et les plus lumineux – de l’univers. Toutefois, les sceptiques attirent l’attention sur les cas où les quasars semblent se trouver devant des galaxies à faibles décalages spectraux, et les solutions normales de cette énigme ont apparemment été écartées.

Si certains quasars sont effectivement associés à des galaxies relativement jeunes, il convient alors d’appréhender véritablement la signification du décalage vers le rouge. Cependant, comme la corrélation faite par Hubble entre le décalage, la distance et l’âge est devenue la référence fondamentale de la vision cosmologique majoritaire, ces données anormales sont ignorées pour cause d’incorrection manifeste, fausses simplement parce qu’elles ne correspondent pas aux attentes.

De même, la compréhension de l’origine du fond diffus cosmologique est visiblement faussée par l’allégeance au modèle du big-bang ou à un modèle concurrent. L’interprétation normalisée du big-bang remonte à la fin des années 1940. George Gamow, Ralph Alpher et Robert Herman calculèrent alors les propriétés du rayonnement résiduel de l’événement originel. Même si les chiffres finirent par se révéler incorrects, Gamow aurait prétendu, lors de la découverte du fond diffus cosmologique en 1965, que ces astrophysiciens avaient trouvé « une pièce d’argent » à l’endroit où il en avait perdu une.

L’explication du rayonnement diffus cosmologique qui réfute le big-bang trouve son référentiel dans les travaux du canadien Andrew McKellar au début des années 1940. S’appuyant sur l’abondance observable de différents gaz interstellaires, McKellar anticipa correctement la température de ce rayonnement. Cependant, d’après Burbidge, qui lui-même défend une autre approche appelée la théorie de l’état quasi stationnaire, ce rayonnement de fond ne résulte pas d’un événement unique, mais dérive de la création permanente de nouveaux atomes au niveau des étoiles. Il affirme que les travaux de McKellar sont déterminants car ils correspondent à la réalité et ont été réalisés sans présupposer une énorme explosion, tandis que l’équipe de Gamow a créé les paramètres qui permettaient le big-bang. « En fait, il n’y avait rien de prévu », écrit Burbidge. « Mais l’effet psychologique né des idées erronées sur la prédiction et la découverte [du fond diffus cosmologique] est l’une des principales raisons pour lesquelles tant de gens croient au big-bang. ».

LA COMPOSANTE HUMAINE

Si les sciences ne se préoccupaient que de faits objectifs, on pourrait s’attendre à des débats beaucoup plus ouverts. Cependant, d’autres composantes humaines entrent dans le processus d’élaboration des théories. L’auteur scientifique américain Timothy Ferris a noté que la science peut présenter une façade dépassionnée, logique et froide, mais les chercheurs ne sont pas différents de nous autres. Nous sommes tous impliqués sur le plan émotionnel et, par conséquent, « inévitablement enchevêtrés dans ce que nous étudions ».

Il est important de prendre en compte cette interaction humaine entre logique, émotion et expérience pour reconstituer notre historique cosmique. Tous ces facteurs teintent à la fois notre perception individuelle et collective des moyens de distinguer le possible de l’impossible. Thomas Kuhn, philosophe américain et historien de la science aujourd’hui décédé, a étudié ce lien entre la méthode scientifique et l’émotion humaine dans ses travaux sur les révolutions de la science – lorsqu’une théorie fait place à une autre. Il a écrit : « L’observation et l’expérience peuvent et doivent réduire impitoyablement l’éventail des croyances scientifiques admissibles, autrement il n’y aurait pas de science. Mais à elles seules, elles ne peuvent pas déterminer un ensemble particulier de ces croyances. » (La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983.)

Kuhn a fait remarquer que la science ne se résume pas à une enquête policière ; c’est une entreprise qui va au-delà de simples faits. Tout comme un tisserand doit faire de nombreux choix pour créer une tapisserie, la construction scientifique de la « réalité » nécessite des décisions quant à ce qu’il faut garder et ce qu’il faut exclure. Créativité, personnalité et politique politicienne sont autant d’éléments impliqués dans le processus. Comme Kuhn l’a indiqué dans La structure des révolutions scientifiques, « un élément apparemment arbitraire, résultant de hasards personnels et historiques, est toujours l’un des éléments formatifs des croyances adoptées par un groupe scientifique à un moment donné ».

De l’avis de Burbidge entre autres, le big-bang est davantage un système de croyances qu’une description dépassionnée fondée sur l’observation. Aussi déclare-t-il : « À proprement parler, tous ceux que je connais et qui effectuent des observations du fond diffus cosmologique croient, dès le début du projet, qu’ils savent d’où il vient. Il ne se trouve aucun sceptique dans leurs rangs (et ils n’en laisseraient aucun se joindre à eux) pour dire que l’interprétation pourrait être erronée. Cette personne n’existe pas. Elle n’a pas le droit d’exister. On ne peut obtenir de diplôme si on ne croit pas ce qu’ils croient. »

« La plupart des gens ne changent pas d’avis ; ils ne font que répéter leur théorie encore et encore. »

Geoffrey Burbidge, entretien de Vision

Si le big-bang est effectivement un système de croyance, est-il sur le point d’être élucidé ? « Vous pouvez croire tout ce que vous voulez ; peut-être avez-vous raison, peut-être avez-vous tort », ajoute Burbidge. « Mais le fait que des tas de gens y croient ne veut pas dire que c’est exact. » 

Le big-bang serait-il à la veille de se transformer en une nouvelle révolution cosmologique ? Si ce modèle et sa vision d’un commencement étaient abandonnés, quels seraient les conséquences sur d’autres croyances qui ont été entraînées dans le tourbillon de la science et de la Genèse ?

AU COMMENCEMENT

La graine qui allait germer pour donner la notion de big-bang fut présentée pour la première fois en 1931. Dans une lettre publiée par la revue Nature, le prêtre et astronome belge Georges Lemaître décrivit un commencement de l’univers sous la forme de « l’atome primitif ». De là, il fit naître une expansion similaire à l’explosion de feux d’artifice avec une désintégration en fragments toujours plus petits. Comme nous l’avons noté dans la première partie, cette notion présentait des analogies avec un poème en prose écrit par Edgar Allan Poe dans les années 1840, ainsi qu’avec des textes cabalistes datant de 600 ans plus tôt.

Certains estiment que les idées de Lemaître visaient à créer une convergence entre astronomie et théologie. Sur son volet scientifique, l’hypothèse s’inspirait cependant des équations d’Einstein sur la gravité. Préférant un univers stationnaire et harmonieux, ce dernier avait élaboré des formules démontrant un équilibre des forces à l’œuvre dans l’univers. En revanche, Lemaître et le mathématicien russe Alexandre Friedmann découvrirent des solutions à ses équations qui débouchaient sur un univers dynamique instable. En affirmant que d’autres galaxies s’éloignent à une vitesse proportionnelle à leur distance, l’annonce de Hubble en 1929 sonna l’avènement de l’univers en expansion.

Au cours des décennies qui suivirent, les propos s’échauffèrent entre les adeptes de l’état immuable et les inconditionnels du nouveau modèle explosif. C’est en se moquant du concept que l’astronome britannique Fred Hoyle trouva l’expression big bang ; il expliquait que l’univers n’était pas une fille jaillissant d’un gâteau. Cependant dans les années 1950, l’opinion avait déjà rejeté l’état immuable. Burbidge rend compte d’une assemblée mémorable de la Royal Society de Londres : « Au cours de son allocution, le président leur dit qu’au fond, ils n’avaient rien de scientifique s’ils proposaient cette approche de l’état immuable. Quand vous entendez cela de la part du président de votre société savante, tous les autres reçoivent aussi le message. »

Par ailleurs, Burbidge écrit : « Il n’y a aucune raison impérative pour laquelle on devrait préférer si franchement un modèle normalisé de l’univers à partir d’un commencement au lieu d’une autre approche, à part qu’il est toujours plus facile de rallier la majorité plutôt que de s’en démarquer. »

LA PREUVE DE CONCEPT

Le début des années 1950 correspond aussi au moment où la théorie du big-bang fit acte de foi en passant de la conception scientifique à la « volonté divine ». Associant la cosmologie et la Genèse, le pape Pie XII déclara avec assurance : « La vraie science en effet, contrairement à ce qu’on a inconsidérément affirmé dans le passé, plus elle progresse, et plus elle découvre Dieu, comme s'il attendait aux aguets derrière chaque porte qu'ouvre la science. »

Dans son discours de 1951 à l’Académie pontificale des sciences, le Pape ajouta : « Disons plus : de cette découverte progressive de Dieu, […] l'homme de science n'est pas seul à bénéficier quand il pense en philosophe – et comment pourrait-il s'en abstenir ? – mais encore tous ceux qui participent aux nouvelles trouvailles ou en font l'objet de leurs considérations. »

L’astronome sud-africain Hilton Ratcliffe remarque l’attrait psychologique d’une telle convergence entre science, esprit et foi. « L’idée d’un univers infini qui s’introduit partout sans but est un anathème à l’encontre du psychisme humain collectif », écrivit-il dans The Virtue of Heresy. « Confronté à l’athéisme en plein essor dans la philosophie scientifique, l’homme poussa un soupir de soulagement et accrocha sur son sein un modèle universel qui ressemblait étrangement à quelque chose de divin ! » Sur le plan mental, la notion de big-bang peut aisément se muer en l’empreinte de l’acte originel d’un créateur.

« La philosophie cosmologique la plus largement admise à l’aube du XXIe siècle n’est qu’un simple élan imaginatif qui prétend dépeindre la réalité. Il ne dépeint pas la réalité. »

Hilton Ratcliffe, The Virtue of Heresy

En suivant un tel raisonnement, on pourrait alors utiliser la théorie scientifique comme fondement pour comprendre Dieu. À n’en pas douter dans toute la communauté scientifique, ce n’est pas le cas ; les chercheurs ne relient pas la croyance en un créateur et la croyance dans le big-bang. Bien qu’ils soient susceptibles d’évoquer des images de ce genre, les cosmologistes n’admettent pas véritablement croire que la compréhension de l’origine de l’univers équivaut à connaître l’esprit de Dieu.

Comme, dans une certaine mesure, nous cherchons tous une compréhension spirituelle des choses – que nous soyons convaincus qu’il s’agit d’inspiration ou d’évolution (voir « An Astronomer Attempts to Explain Spirituality ») – il devient facile de faire du big-bang notre « preuve de concept » pour l’existence d’un Créateur. L’inconvénient est que si l’on voit la Genèse et le big-bang comme une seule et même chose, alors si l’un disparaît, l’autre aussi forcément.

En revanche, si « c’est par la foi que nous reconnaissons que l’univers a été formé », comme Paul l’a écrit aux Hébreux, « en sorte que ce qu’on voit n’a pas été fait de choses visibles », est-ce alors grâce à la science que nous pourrions distinguer l’invisible et donner de la substance à la foi ? Rendre le monde naturel plus transparent fait certainement partie des objectifs de la science. Cependant, s’il est juste de décrire la foi comme une « assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas » (Hébreux 11 : 1 et 3, Nouvelle Édition de Genève 1979), il faut se demander si les méthodes d’observation, d’expérimentation et de conceptualisation du processus scientifique contribuent vraiment à une quête spirituelle.

Ces méthodes ne pourraient-elles pas plutôt être fallacieuses, utiles pour « prouver » la non-existence d’un Créateur ? C’est ce que certains chercheurs affirment d’ailleurs. En intégrant une meilleure compréhension de la façon dont la science se fait réellement – pas seulement par une déduction froide et rationnelle en labo, mais en passant aussi par la sphère bien humaine de la compétition, du compromis et de la soumission émotionnelle – l’observateur doit réajuster son opinion sur ce que la science est effectivement. La vigilance s’impose.

UN UNIVERS ALTERNATIF

Les auteurs de théories opposés au big-bang n’essaient pas d’éliminer la signification spirituelle ; c’est la moindre de leurs préoccupations. Ils sont en train de lutter tant bien que mal simplement pour que l’on revienne à une science fondée sur l’observation, à une physique basée sur le travail de laboratoire et à un inventaire exact des preuves. Pour ce groupe grandissant de physiciens, une théorie des origines qui dépend des improvisations de multivers imaginaires, de l’effet tunnel quantique, ainsi que de la matière sombre et des forces que les animent, est purement et simplement impossible à tenir.

Parmi ces détracteurs du big-bang, se trouve Eric Lerner, un physicien américain spécialisé dans les propriétés dynamiques des plasmas. D’après lui, une théorie qui peut être façonnée afin d’être toutes choses quelles que soient les observations n’est franchement pas crédible. Il écrit que « le moment est venu – et il est attendu depuis longtemps – d’abandonner le big-bang comme modèle prédominant de la cosmologie […]. Toutes les prédictions élémentaires de la théorie du big-bang ont été régulièrement réfutées par l’observation. À présent, la théorie est encombrée d’une multiplication d’hypothèses ajoutées ponctuellement. »

Les iconoclastes, tels Lerner et les autres membres de l’Alternative Cosmology Group, soutiennent que la cosmologie du big-bang n’est qu’une forme de créationnisme : une affaire de croyance fondée sur une interprétation erronée, sur une preuve scientifique non vérifiable. Ils assurent que leurs cosmologies alternatives « promettent d’expliquer les observations avec cohérence et de prédire des phénomènes nouveaux », ce que le big-bang ne parvient pas à faire. Le succès de la cosmologie du big-bang ne repose pas sur sa validation par des observations ou des expériences mais, selon les écrits de Lerner, sur son « aptitude à adapter rétrospectivement des observations grâce à un ensemble de paramètres ajustables qui grossit régulièrement, tout comme l’ancienne cosmologie géocentrique de Ptolémée avait besoin de superposer une succession d’épicycles.

Les partisans de théories alternatives recherchent le genre de révolution dont parlait Kuhn. « Comment […] les scientifiques réagissent-ils à la prise de conscience d’une anomalie dans la cohérence entre la théorie et la nature ? » demandait-il. La révolution d’une notion commence avec le sentiment « qu’un paradigme a cessé de fonctionner de manière satisfaisante pour l’exploration d’un aspect de la nature sur lequel ce même paradigme a antérieurement dirigé les recherches ».

UNE RENAISSANCE

Tandis qu’au début du XXe siècle, Einstein concevait un univers complet où « Dieu ne joue pas aux dés », la pensée scientifique actuelle est devenue plus arbitraire, embrumée, sombre. Les défenseurs des cosmologies non inspirées du big-bang estiment que leurs conclusions sur la structure de l’univers revitaliseront une entreprise scientifique plombée par une théorie moribonde. À leur avis, l’inintelligibilité vient de nos propres actes. En négligeant les expériences qui peuvent effectivement être réalisées et les observations qui peuvent être faites, les théoriciens du big-bang ont inventé à la place une vision du monde imaginaire qui ne peut être ni vérifiée ni expliquée, si ce n’est par une invention intellectuelle supplémentaire.

Le changement de point de vue que proposent les iconoclastes pourrait-il conduire à une renaissance de la conquête théorique et technologique ? C’est ce qu’ils croient. D’après eux, il est évident que voir dans le big-bang l’explication absolue des origines est une impasse scientifique : en consommant les fonds de financement, la recherche sur le big-bang canalise le capital scientifique vers un labyrinthe toujours plus vaste d’étranges sentiers conceptuels, créant théorie sur théorie pour expliciter des choses dont il est impossible de montrer l’existence.

Si tel est le cas sur le plan physique, il n’est pas trop osé de s’interroger sur une similitude au niveau métaphysique. Reproduisons-nous la même démarche, en inventant une théorie pour satisfaire une opinion, lorsque nous creusons des questions de nature spirituelle ?

La quête de signification est l’une des forces motrices de la science en général, et plus particulièrement de spécialités telles que la physique, l’astronomie et la cosmologie. Cette curiosité, alliée à un besoin émotionnel de savoir, est le lubrifiant de l’esprit humain lorsqu’il invente des télescopes ou des accélérateurs, ou bien les calculs pour vérifier des conclusions. Certes, nous avons inventé des outils incroyables pour examiner beaucoup de grandes questions sur notre place dans l’univers (même si on peut s’interroger sur les modalités d’utilisation de ces outils), et nous espérons que cette exploration physique déverrouillera l’accès à une signification métaphysique.  Il est facile de mélanger les deux quêtes – physique et métaphysique – car, comme l’a dit le physicien britannique Freeman Dyson, l’univers semblait savoir que nous allions arriver.

UN NOUVEAU CIEL

À la fin de son livre Many Worlds in One, l’astrophysicien américain Alexander Vilenkin arrive à une question très importante. Après avoir présenté dans le corps de son texte qu’« aucune cause n’est indispensable » pour créer un univers à partir de « rien », Vilenkin note que les lois fondamentales qui régissent l’évolution ultérieure de l’univers doivent avoir une origine dans quelque chose de réel. Il écrit que le « processus est régi par les mêmes lois fondamentales qui décrivent l’évolution de l’univers survenue par la suite ». Il s’ensuit que les lois devaient être « là » avant l’univers lui-même.

Que l’univers soit apparu sous une forme ou une autre (vient-il d’une explosion ou était-il déjà en place ?), ou bien à un moment ou à un autre (est-il récent ou ancien ?), la source fondamentale des lois qui gouvernent l’univers reste la grande énigme. Les problèmes de la cosmologie rappellent nos questions de fond en tant qu’espèce dotée d’une conscience. Si nous ne pouvons pas déchiffrer de façon compréhensible les systèmes de l’univers matériel pour nous orienter au sein de la création, alors pouvons-nous espérer trouver le métaphysique derrière le physique ? Apparemment, même les cieux, ou du moins leur interprétation par les hommes, ne sont pas dignes de confiance. Existe-t-il, sur le passé, le présent et l’avenir de l’univers, une source d’informations qui est fiable et dépasse les préjugés humains ? Y a-t-il un autre médium, ou milieu, à explorer pour trouver les réponses à nos questions de fond, un guide pour avoir une « rétrovision » exacte afin que nous puissions avancer avec davantage d’efficacité et de satisfaction ?

La Bible – d’une certaine façon, le registre du mystérieux législateur de Vilenkin – situe un Créateur hors de la sphère de la découverte scientifique. Que l’univers ait 6000 ans, ou bien 6 ou 6000 milliards d’années, l’espoir de l’humanité ne réside pas dans la découverte d’une date de naissance. Il réside dans la révélation qu’il existe autre chose au-delà de ce que l’on voit ; la réponse ne se trouve pas dans une énergie noire ou une matière sombre, mais dans un nouveau ciel et une nouvelle terre.

Il faut une révolution de la pensée pour réaliser qu’il y a autre chose au-delà de la période que dure une vie humaine ou une vie cosmique. Cette perspective est assimilable à celle des instruments qui permettent de voir dans l’univers, plus loin que notre propre vision. Cette prise de conscience ouvre sur un nouveau schéma conceptuel, un nouveau sens de la signification, analogue à l’approche que Kuhn avait des révolutions scientifiques mais appliqué au niveau personnel au lieu du collectif. D’où la nécessité d’une réorientation personnelle, d’une révolution au cours de laquelle un cadre théorique laisse la place à un autre, d’abord avec quelque hésitation puis complètement. Cette révolution personnelle nous permet de passer d’une vision totalement physique du nous sommes, à une perception spirituelle du pourquoi nous sommes.

Pour trouver la finalité et la signification que nous cherchons chacun intuitivement, nous devons exploiter les informations qui se trouvent hors du domaine scientifique. Existe-t-il une intelligence antérieure à l’univers ? Si c’est le cas, pourquoi cette intelligence a-t-elle décidé de fabriquer des humains ? Nos conclusions deviendront des guides non seulement dans notre perception intérieure de la vie mais aussi dans notre comportement extérieur – notre manière de tisser des liens avec nos compagnons de voyage et de veiller sur eux en chemin.

Notre compréhension des origines définit des limites importantes, à la fois lorsque nous réfléchissons à notre place dans le temps et dans l’espace, et lorsque nous cherchons vers quoi nous tourner pour trouver des conseils. La bonne voie pour avancer est souvent cachée et difficile, mais elle n’est pas impossible à découvrir puisque – pour des raisons qui échapperont toujours à la science – chacun de nous trouve son chemin au-delà du big-bang.