Ville de croyances

Partie 2 : La perspective palestinienne

« Ratiquement tous les récits sur la Palestine, qu’ils soient religieux ou profane, juif, chrétien ou musulman, palestinien ou israélien, tournent autour de la ville de Jérusalem »

(Rashid Khalidi, érudit palestinien).

Dans l’édition précédente de Vision, nous nous sommes penchés sur l’épineuse question du futur de Jérusalem d’un point de vue juif/israélien. En parlant du futur au Moyen-Orient, il faut inévitablement évoquer l’histoire de conquêtes et reconquêtes, particulièrement au sujet de Jérusalem. Pour comprendre la position palestinienne, il faut prendre en considération toutes les convictions au sein des traditions musulmanes et chrétiennes de la vie arabe/palestinienne. Dans la deuxième partie de cette série, nous nous concentrerons essentiellement sur la perspective musulmane concernant Jérusalem.

Le caractère central de Jérusalem dans la tradition arabe musulmane naît très tôt dans le développement de l’islam. Un verset du Coran, parlant d’un incident ayant eu lieu en 620, concerne le voyage spirituel nocturne du prophète Mahomet de la mosquée sacrée de La Mecque à ce qui est appelé la « mosquée lointaine », Al-Aqsa. On pense que c’est là une référence indirecte à la ville de la maison sainte (le temple), ou Haram al-Sharif (l’Esplanade des Mosquées). Selon le Coran, l’ange Gabriel lança le voyage nocturne de Mahomet sur le mystique cheval ailé Al-Buraq. À son arrivée, le cheval fut attaché au coin sud-ouest du Haram, proche du Mur des lamentations (ou Mur occidental) actuel. Il est dit qu’ensuite, Mahomet est monté par les sept cieux jusqu’au trône de Dieu en montant sur une échelle placée sur le rocher au centre de l’esplanade du temple construit par le roi Hérode au premier siècle avant J.-C. Il est également dit que le prophète eut une vision béatifique (connaissance directe de Dieu) et qu’il rentra à La Mecque avant l’aube.

Jérusalem est également considérée comme étant la première direction de prière (qibla) établie par Mahomet. Pendant les dix-huit premiers mois après leur fuite devant leurs ennemis à La Mecque, Mahomet et ses adeptes prièrent vers le temple de Jérusalem (Bayt al-Maqdis) par respect pour ses liens juif et chrétien avec Dieu. Mais dès que les connaissances de Mahomet, juives et chrétiennes, le rejetèrent en tant que nouveau prophète, ses adeptes durent prier vers La Mecque.

Néanmoins, Jérusalem était toujours considérée comme l’un des trois sites saints de l’islam. Un célèbre hadith, une parole de prophète, instruit les adeptes dans les termes suivants : « On ne doit voyager que pour se rendre à trois mosquées : la Mosquée Sacrée [Haram, à La Mecque], ma Mosquée que voici [Médine] et la mosquée Al-Aqsa. » Ces trois endroits étaient considérés égaux pour les prières et les pèlerinages.

Les relations entre l’islam et Jérusalem furent davantage renforcées en 637-638 lorsque les forces d’Omar, second calife après la mort de Mahomet, capturèrent la ville. De la Syrie, Omar se rendit à Jérusalem, accepta sa capitulation, et signa un pacte avec les habitants qui leur garantissait la liberté de culte. Selon un récit, lorsqu’il arriva dans la ville, il chercha « le lieu saint », c’est-à-dire le mont du Temple. Mais il n’y trouva qu’un endroit souillé et en ruines où s’entassaient des ordures. Cet endroit était resté dans cet état pendant toute la période byzantine. Les chrétiens ne voyaient aucune valeur religieuse dans le site du temple juif, le dédaignant au point d’en avoir fait une décharge.

Omar et ses troupes musulmanes furent choqués de l’indifférence qui régnait envers cet endroit vénéré et se mirent à chercher le rocher sur lequel on croyait qu’Abraham avait préparé le sacrifice de son fils, dans un acte de soumission totale à la volonté divine. Ayant trouvé l’endroit sous un tas de fumier, ils déblayèrent toute l’esplanade du temple et nettoyèrent l’endroit à l’eau de rose. Il est dit qu’Omar traça une niche pour la direction de la prière, pria au sud du rocher, et qu’il y construisit une mosquée rudimentaire.

« La capture de Jérusalem a dû paraître comme étant en partie l’accomplissement des promesses prophétiques affirmant que l’islam vaincrait. »

Sabri Jarrar

Identification à la ville

La capture de Jérusalem par les musulmans fut un évènement de taille qui dévoila des aspects cachés de l’identité et de l’idéologie musulmane concernant la ville. Sabri Jarrar, érudit arabe, affirme que la ville fut « la récompense suprême » d’une campagne « lancée par une communauté idéologiquement engagée pour l’hégémonie de l’islam ». Il ajoute que « pour les compagnons de Mahomet qui avaient mené la première campagne, […] la capture de Jérusalem a dû paraître comme étant en partie l’accomplissement des promesses prophétiques affirmant que l’islam vaincrait. »

Il est manifeste que plusieurs « compagnons du prophète », les témoins oculaires de sa vie, visitèrent Jérusalem par dévotion religieuse. D’autres passèrent leurs derniers jours dans la ville. Selon l’érudit Mahdi Abd al-Hadi, le premier calife de la dynastie omeyyade, Mu’awiya (661-680), « liait sa propre identité à Jérusalem, s’appelant lui-même calife de Bayt al-Maqdis. Donc la ville fait partie de la foi islamique. » L’on suppose que Mu’awiya parla à la première mosquée sur le site et annonça que « le lieu situé entre les deux murs de cette mosquée est plus cher à Dieu que le reste de la terre. »

« Le lieu situé entre les deux murs de cette mosquée est plus cher à Dieu que le reste de la terre. »

Mu’awiya Le premier calife de la dynastie omeyyade, (661-680)

Le rocher central devint aussi un centre d’attention pour le deuxième fondateur de la dynastie omeyyade, Abd al-Malik (685–705), qui construisit le Dôme du Rocher, croyant que le rocher était l’endroit d’où Mahomet était monté au ciel. Il semble qu’Abd al-Malik et/ou son fils ait également bâti la première mosquée Al-Aqsa en 708-709 sur le site où la mosquée actuelle se situe.

Dans la pensée musulmane, Jérusalem est à certains égards une réplique de La Mecque. Tout comme le lieu saint en forme de cube à La Mecque (la Ka’bah), le rocher est associé à Adam, au jardin d’Eden, à Abraham, au centre du monde et à la fertilité. Au contact de la pensée juive et chrétienne, l’enseignement musulman a assimilé certaines idées sur les évènements à venir tout en les liant à Jérusalem : la résurrection et le jugement dernier auraient lieu dans la ville, et le Mahdi (Sauveur) viendrait au Haram. C’était peut-être la raison pour laquelle l’on raconte que les amis de Mahomet auraient demandé à ce que son corps soit amené là pour y être enterré.

L’érudit palestinien Sari Nuseibeh suggère que Mahomet pensait qu’Abraham était le premier disciple de l’islam, c’est-à-dire le premier exemple de vraie soumission à Dieu. La vénération que Mahomet portait à Jérusalem et son cœur spirituel, la montagne de Morija (le rocher où Abraham fit preuve d’une entière soumission, ce que signifie le mot islam, en étant tout près de sacrifier son fils à Dieu), fut fondée dans sa croyance selon laquelle Abraham représentait la vraie religion. Selon Nuseibeh, il n’y avait pour Mahomet qu’une seule foi, et non trois systèmes monothéistes. Pour le prophète, dit-il, le judaïsme, le christianisme et l’islam étaient simplement des manifestations de cette religion première chacun à leur époque.

Nuseibeh pense qu’une relecture attentive du Coran et de l’histoire musulmane établit Jérusalem en tant que centre d’attention de Mahomet en ce qui concerne la suprématie d’un lieu spirituel. Cela explique le voyage que le prophète fit vers le trône de Dieu de la montagne de Morija et la première priorité du calife Omar à chercher le rocher pour prier. Ainsi, le Dôme du Rocher devient un lieu de prière établi et la mosquée Al-Aqsa une « revivification de l’ancien temple juif, une représentation de l’unité avec le message abrahamique, une incarnation du nouveau temple attendu et prévu. »

La création d’une ville musulmane

Au 8ème siècle, des tremblements de terre détruisirent la mosquée Al-Aqsa à deux reprises. Elle fut reconstruite, officiellement nommée al-Masjid al-Aqsa (la mosquée lointaine) et associée à l’allusion que fait le Coran au voyage nocturne de Mahomet. Cependant, le premier récit complet concernant ce voyage quelque peu inhabituel ne fut disponible que lorsque la biographie de Muhammad ibn Ishaq fut écrite, quelque cent ans après la mort du prophète. Jérusalem avait dès lors été identifiée au voyage que Mahomet avait fait vers la mosquée lointaine, même si le bâtiment n’existait pas à l’époque de ce voyage mystique.

Résultant de différents projets de construction, des lieux saints se multiplièrent dans les murs du Haram aux 8ème et 9ème siècles, plusieurs d’entre eux commémorant des évènements bibliques juifs et chrétiens. En 832, le calife al-Ma’mun ordonna que le Dôme du Rocher soit restauré et fit battre des pièces de monnaie sur lesquelles Jérusalem devint Al-Quds, « la Sainte », nom que les Palestiniens utilisent encore de nos jours.

Vers l’an 1000, l’érudit musulman Al-Wasiti publia une anthologie des célèbres dictons louant Jérusalem. Il attribua à Mahomet l’importante tradition suivante : « La Mecque est la ville qu’Allah a exaltée ou sanctifiée, créée et entourée d’anges, mille ans avant de créer quoi que ce soit d’autre sur la terre. Ensuite il l’a associée à Médine et a uni Médine à Jérusalem, et seulement mille ans plus tard il a créé le [reste du] monde par une seule action. » Ces dictons publiés montrent de façon évidente l’importance de Jérusalem dans la tradition musulmane.

À cette époque, la mosquée Al-Aqsa était également un haut lieu du savoir. Natif d’Al-Quds, le géographe Al-Muqaddasi (mort vers 1000), écrivit que la ville avait « toutes sortes de savants » de son vivant. À Jérusalem en 1095, l’érudit perse et mystique soufi, Al-Ghazali, commença son œuvre la plus célèbre, Revivification des sciences religieuses, à Al-Aqsa. Selon l’érudit arabe A.L. Tibawi, cette œuvre était à l’islam ce que Summa Theologiae, de Thomas d’Aquin, allait devenir pour le monde chrétien. En réponse aux demandes de fidèles à la mosquée Al-Aqsa, Al-Ghazali écrivit également Le traité de Jérusalem, une brève explication de la foi musulmane.

Des croisés aux Ottomans

L’arrivée des croisés chrétiens en 1099 fut le début d’une période plus troublée dans l’histoire de l’islam. Présents dans la ville et ses environs jusqu’en 1187, les croisés changèrent l’usage de nombreux bâtiments religieux de la ville, y compris la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher. Le fondateur de la dynastie ayyoubide (1169-1260), Saladin, assiégea la ville en 1187 et redonna Al-Aqsa aux mains des musulmans après 88 ans. Le premier vendredi après que les croisés aient été chassés, le sermon que l’homme religieux prononça dans la mosquée se concentra sur ce que Saladin pensait de la ville et de son importance au sein de l’islam. Ce sermon résume avec justesse l’importance du Haram pour les croyants musulmans :

« C’était la résidence de votre père Abraham ; l’endroit d’où votre saint prophète Mahomet est allé au ciel ; la qibla vers laquelle vous vous êtes tournés pour prier au début de l’islamisme [sic], la demeure des prophètes ; et l’endroit que les saints ont visité ; le cimetière des apôtres ; le lieu où la révélation divine est descendue, et où les ordres pour commander et les interdits furent envoyés : c’est le pays où l’humanité sera rassemblée pour être jugée, le sol où la résurrection aura lieu ; la terre sainte dont Dieu a parlé dans son livre lumineux ; c’est la mosquée dans laquelle l’Apôtre de Dieu a offert sa prière et salué les anges admis aux côtés de Dieu ; c’est la ville dans laquelle Dieu a envoyé son serviteur et apôtre, et la Parole qu’il a fait descendre sur Marie et son esprit Jésus, qu’il a honoré de cette mission et ennobli par le don de la prophétie sans l’enlever de son rang qu’il occupait en tant que l’une de ses créatures […] Ce temple est le premier des deux qiblas, le deuxième des mosquées sacrées, le troisième après les deux villes saintes (La Mecque et Médine). »

Saladin restaura également les édifices de Jérusalem et les institutions islamiques en matière de justice et d’enseignement. Depuis ses débuts en tant que centre musulman, la ville avait attiré des érudits et des mystiques soufis. Les soufis s’y étaient établis à une époque antérieure et Saladin les encourageaient désormais à revenir dans la ville. Pourtant, il devint évident que Al-Quds n’était pas aussi importante au niveau politique après que ses chefs se soient installés en Syrie et en Égypte à la mort de Saladin en 1193.

En 1260, les Ayyoubides en Palestine laissèrent place à la dynastie des Mamelouks. Régnant sur le territoire pendant 250 ans, les sultans mamelouks, pour la plupart turcs, amenèrent de la stabilité après la période chaotique des croisés. Cependant, Jérusalem était de nouveau isolée de la puissance administrative en Syrie. Elle devint un lieu de rassemblement pour les chefs mamelouks exilés, les érudits et les riches protecteurs des sites religieux. Les chrétiens et les juifs reçurent certains droits dans la ville et de nombreux travaux de rénovation et de construction furent entrepris pendant cette période.

Les Turcs ottomans battirent leurs proches mamelouks et prirent Jérusalem en 1516. Le sultan Selim I visita aussitôt la ville et s’empara de la mosquée Al-Aqsa et du Dôme du Rocher. Selim et son fils Soliman vénéraient Jérusalem et décidèrent de reprendre le programme de construction des Ayyoubides, restaurant le Dôme du Rocher et reconstruisant les murs de la ville après 300 ans de ruine et de délabrement. Les murs actuels de Jérusalem datent de cette époque de reconstruction.

Pendant que le contrôle ottoman diminua au fil des 200 ans qui suivirent, ce sont des familles notables de Jérusalem qui prirent des postes à autorité dans le domaine religieux et social. Au 18ème siècle, ces personnalités se développèrent au point de représenter le peuple auprès des autorités turques à Istanbul et de maintenir le statu quo au nom des Ottomans.

Présage du conflit actuel

Ce fut dans la Jérusalem du 19ème siècle que les grandes lignes du débat actuel sur la ville commencèrent à prendre une forme plus familière. Les Ottomans encouragèrent le statut spécial de Jérusalem, et pendant que la ville se développa en une capitale administrative de la Palestine ottomane, les contours de la future entité politique commencèrent à devenir évidents.

L’empire étant de plus en plus faible, la Syrie et Jérusalem furent prisent par Ibrahim Pasha en 1832. Le nouveau souverain encouragea l’ouverture envers les puissances européennes, qui, une par une, établirent leur consulat dans la ville, soi-disant pour protéger les intérêts religieux de leurs citoyens. Le consulat britannique fut le premier à ouvrir ses portes.

En 1840, Ibrahim Pasha fut expulsé de Syrie, et pour la première fois, Jérusalem prit une tournure internationale. Un gouvernement chrétien sous contrôle européen fut proposé à la ville, mais les Ottomans, de retour dans la ville, ne firent rien pour favoriser sa mise en place. Cependant, bien qu’ils fussent de nouveau responsables, ils ne changèrent pas la politique de tolérance religieuse instaurée par Ibrahim Pasha.

Les Ottomans finirent par établir une démocratie limitée dans la région, Jérusalem étant représentée en tant que ville et district au parlement ottoman d’Istanbul en 1877-78. Ceci permit aux familles notables de la ville de devenir éligibles pour des postes gouvernementaux au niveau central et local, et Jérusalem prit de l’importance au niveau politique.

Jérusalem fut un élément important dans le développement de l’identité palestinienne en ce qui concerne la construction d’une conscience nationale moderne.

En 1882, les Anglais s’établirent en Égypte en tant que puissance coloniale, et les premiers immigrants pré-sionistes arrivèrent en Palestine. Ces deux développements plantèrent le décor de la phase suivante concernant l’importance de Jérusalem dans la pensée arabe et palestinienne, le concept d’une identité palestinienne arabe distincte commençant à prendre forme. Selon l’érudit palestinien Rashid Khalidi, Jérusalem fut un élément important dans le développement de l’identité palestinienne en ce qui concerne la construction d’une conscience nationale moderne. Il mentionne qu’à la fin du 19ème siècle, l’esprit de clocher « a servi de base à l’attachement pour un endroit, l’amour pour un pays, et un patriotisme local qui furent des éléments cruciaux dans la construction du nationalisme de l’État nation. » L’attachement pour Jérusalem est un exemple très fort d’un tel esprit de clocher.

Le 2 novembre 1917, le gouvernement britannique publia la déclaration Balfour pour soutenir un foyer national pour les Juifs en Palestine. Un mois plus tard, soit le 11 décembre, à la suite du retrait soudain des forces ottomanes et allemandes de Jérusalem, le général Edmund Allenby, commandant en chef britannique, entra dans la vieille ville. Cela marquait ainsi la fin de plus de 1200 ans de règne musulman arabe et turque, entrecoupés de la courte période des Croisades.

Impasse du 20ème siècle

Les différents évènements dans l’histoire du conflit arabo-sioniste, qui perdurent encore aujourd’hui, ont souvent tourné autour de Jérusalem. En 1922, la Société des nations établit le gouvernement britannique en tant qu’autorité mandataire en Palestine, et Jérusalem en devint la capitale. Pendant la guerre d’indépendance israélienne et peu après la Deuxième Guerre mondiale, la ville était dans l’œil du cyclone. Jérusalem-Ouest tomba dans les mains des sionistes, et des centaines de milliers de Palestiniens s’enfuirent ou furent chassés de leurs maisons dans toute la Palestine. Pour ces expropriés, ce fut Al-Nakba (la Catastrophe) dont ils ne se remirent jamais. Les forces jordaniennes conservèrent la vieille ville, qui fut séparée de Jérusalem-Ouest par un no man’s land. Pendant les dix-neuf ans qui suivirent, Jérusalem-Est fut marginalisée, ayant été cédée à contre cœur pour devenir la deuxième capitale de Jordanie, même si c’était une capital sous-développée.

La capture de la partie est de la ville par les Israéliens lors de la guerre arabo-israélienne de 1967 fut le point de départ des problèmes que nous connaissons encore à l’heure actuelle. La construction et l’expansion de colonies israéliennes, la perturbation de la vie palestinienne, la rupture des liens entre le nord et le sud de la Cisjordanie palestinienne, la construction du  mur de sécurité d’une triste notoriété dans Jérusalem-Est, tous ces évènements ont fait de la ville un endroit extrêmement tendu. Le Haram/mont du Temple, l’aimant naturel de l’identité palestinienne et israélienne, est au cœur du conflit.

La position de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) concernant l’avenir de la ville est bien connue pour avoir été publiquement exposée par ses officiels. L’ancien Premier ministre, Ahmed Qorei (Abou Alaa), a déclaré que « Jérusalem […] est la tête, le cœur de l’État palestinien – le cœur de l’identité palestinienne. Sans Jérusalem, je ne pense pas que l’on puisse avoir la paix ». L’ancien président de l’OLP, feu Yasser Arafat, parlait de Jérusalem-Est comme « ma capitale », et avertissait ses ennemis en ces termes : « La bataille pour Jérusalem est une question de vie ou de mort pour le peuple palestinien […] La patience du leadership palestinien et du peuple palestinien est à bout […] Jérusalem est une ligne rouge, [et] il n’y a pas une seule personne parmi nous qui ferait des concessions sur un seul centimètre de sol de Jérusalem. »

Le site Internet officiel de l’OLP déclare que Jérusalem-Est, y compris la vieille ville, fait partie du territoire sur lequel l’autorité palestinienne exercera son autorité une fois que l’état sera établi. Ce sera la capitale. Le site affirme également que la Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie (Accord d’Oslo) spécifie que tout Jérusalem, Est et Ouest, est ouverte pour des négociations de statut permanent. Ainsi, Jérusalem devrait être une ville ouverte, sans aucun partage physique. Comme le plupart des lieux saints se trouvent à Jérusalem-Est, y compris ceux de la vieille ville, l’OLP promet que l’État de Palestine assurera la liberté de culte et d’accès à ces sites.

Divisions palestiniennes

Alors qu’elle s’identifie irrévocablement à Jérusalem-Est, l’OLP a adopté une position plus modérée sur l’arrangement négocié final de la ville que ne l’a fait son grand rival, l’organisation fondamentaliste musulmane du Hamas. La charte du Hamas, qui est basé à Gaza, se réfère à Jérusalem dans le contexte de l’histoire musulmane de la Palestine. Elle attire l’attention sur « l’invasion idéologique » des pays musulmans lorsque les croisés battirent Saladin. Selon le Hamas, les « orientalistes et les missionnaires » ont causé l’invasion.

De plus, ces intrus ont « préparé l'invasion coloniale, ainsi que l'a déclaré Allenby lui-même lors de son entrée à Jérusalem : "C'est maintenant que s'achèvent les Croisades". Le général Gouraud, de son côté, a dé­claré debout devant le tombeau de Salâh al-Dîn : "Nous voici de retour, Saladin !" Le colonialisme a contribué - et ne cesse de le faire- au renforcement de l'invasion intellectuelle et à l'approfondissement de ses ra­cines. C'est tout cela qui a préparé la perte de la Palestine. »

La charte continue ainsi : « Il faut que dans l'esprit de toutes les générations musulmanes la cause de la Palestine soit bien une cause re­ligieuse qui exige un traitement approprié à cette base. Elle possède les lieux saints islamiques de la mosquée al-Aqsa et du Haram qui sont inexorablement liés -  tant que dureront les cieux et la terre – au voyage nocturne du prophète  de Dieu (que la paix soit sur lui) qui est monté aux cieux depuis cet endroit.

Dans une interview accordée dans sa résidence de Gaza en février 1998, le leader spirituel du Hamas d’alors, feu le cheikh Ahmad Yassine, indiqua qu’il était impossible de faire des compromis sur Jérusalem. Il déclara au reporter israélien que la paix ne pouvait être obtenue qu’une fois que toutes les terres seraient rendues au peuple palestinien et qu’un État indépendant, appelé Palestine, serait créé, avec Jérusalem pour capitale.

Malgré ces déclarations apparemment implacables, là où la charte du Hamas parle de « gens d’autres croyances », le langage utilisé suggère un certain degré de tolérance. Concernant l’accès futur des juifs et des chrétiens aux sites saints, la charte déclare :

« À l'ombre de l'islam, les disciples des trois reli­gions, islamique, chrétienne et juive, peuvent coexister dans la sécu­rité et la confiance. Ce n'est qu'à l'ombre de l'islam que la sécurité et la confiance peuvent se trouver, l'histoire récente et an­cienne en constituant un bon témoin.

Il est du devoir des disciples des autres religions de s'abstenir de concurrencer l'islam dans sa souveraineté sur cette région car le jour de leur propre souveraineté serait celui des massacres, de la torture et de l'exode. En effet, ils en viennent aux mains entre eux, sans parler de leurs combats avec les disciples des autres religions. Le passé et le présent sont remplis d'exemples qui prouvent cela. »

La perspective palestinienne musulmane sur Jérusalem est ancrée dans la riche histoire de la ville, tout comme la perspective juive/sioniste/israélienne. La résolution de la complexité de la situation appartient aux deux partis qui doivent ouvrir un dialogue constructif. Dans un prochain article, nous verrons comment cela pourrait être atteint.